Le lever est matinal, car nous devons rencontrer notre guide qui, en
principe, nous emportera en mer dans le but de voir les phoques (but
premier avoué du voyage - la plongée n’est qu’un accessoire; mon copain,
un moniteur italien, voulait absolument voir les phoques de près). C’est
au cours du dejeuner qu’il se manifeste, un montagnais robuste, bien
bâti et assez légèrement vêtu malgré le moins trente degrés qui règne
dehors malgré le soleil éclatant. Hélàs, les pronostics ne sont
pas bons; le vent d’ouest incertain risque de faire annuler la sortie.
Le repas terminé, le guide part aux nouvelles alors que nous discutons
le bout de gras avec Edmond. Hélàs, notre guide revient aussitôt pour
nous annoncer que, le vent reprenant de plus belle, la sortie doit
malheureusement etre annulée.
Nous decidons donc d’aller en reconnaissance sur la berge, histoire de
voir l’état du quai ou nous devrions plonger. Bien emmitouflés, nous
sortons a l’exterieur dans un soleil eclatant mais un froid siberien.
Nous marchons tranquillement vers le quai, quand nous constatons qu’il
y a une bonne quantité de glace sur l’eau du cote de la rampe de mise
à l’eau. De l’autre côte du quai, ce n’est guère mieux, l’enrochement
est completement glacé. Mais l’eau limpide est extremement invitante...
L’air ultra-clair permet une visibilité infinie. Nous devinons tout
juste l’autre rive du fleuve, qui est à plus d’une vingtaine de
kilomètres. Du côté nord-est du village, un massif montagneux se dresse,
bien droit, seulement gravi par un escalier et une piste de motoneige,
tapissé de sa couche de taïga, mais sans mystères.
Le silence ambient n’est dérangé que par la pétarade occasionnelle d’une
motoneige dans la rue ou sur la piste.
Nous decidons donc de continuer sur la grève toute glacée, histoire de
trouver un meilleur point d’entrée a l’eau. Ce ne sont pas les endroits
qui manquent, mais le probleme est d’y accéder. Un immense banc de neige
longe la rue, ce qui rend l’acces difficile. Il y a bien quelques
accès pelletés qui mènent a la grève; nous verrons cela plus tard, en
revenant par la rue.
On pousse notre exploration jusqu’à un ruisseau qui se jette dans le
fleuve, puis nous remontons sur la rive, pour suivre la piste de
motoneige sur quelques centaines de metres, jusqu’a un promontoire qui
donne une belle vue sur le village, ou nous rebroussons chemin, non
sans avoir constaté qu’un navire s’approche du large.
De retour, nous constatons que les accès pelletés menent tous a une
résidence, invisibles de la grève. Mais en passant vis a vis du quai,
nous constatons que la banquise s’est mise a derivee, poussee par le
vent: elle est déjà à une dizaine de mètres du quai! Cela règle notre
problème: quand nous serons de retour pour plonger, elle aura
completement disparu au delà de la montagne qui plonge dans le fleuve...
Au large, le navire se précise: c’est le Camille Marcoux, le traversier
qui arrive de Matane avec une cargaison de bagnoles, motoneiges,
piétons, camions et meme une brouette.
Nous arrivons au quai du traversier juste a temps pour assister a la
manoeuvre d’approche (en se frayant un chemin dans la glace),
d’accostage (ou la proue se releve pour devoiler une porte/rampe) et
de deparquement ou nous assistons a la sortie de l’etonnant
caravanserail décrit plus haut, vomi des entrailles du traversier.
Puis nous remettons le cap sur l’auberge.
Revenus, je m’installe confortablement pour lire un peu quand mon copain
decide de plonger tout de suite. Bon, pas de problème, je suis prêt...
Je monte me changer, pour mettre mes sous-vêtements de plongée, puis
redescend dans la veranda pour monter a l’interieur de ma combinaison
sèche... Ainsi accoutrés, nous montons dans l’auto et nous nous rendons
au quai des pecheurs. Note tenue ne jure pas trop, comparée aux
combinaisons qu’endossent les motoneigistes...
L’equipement descendu, je m’apercois que j’ai oublie mes palmes a
l’auberge. Je profite que mon ami y retourne pour aller les chercher
pour examiner de plus près le bord de l’eau.
Ca ne se présente pas trop bien: la marée montante (la marée monte
jusqu’au delà de Québec) couvre une épaisse couche de glace, qui promet
d’être bien glissante sous l’eau. Mais je remarque plusieurs roches
recouvertes de glace pouvant offrir assez de prise. Je décide d’y tâter
l’eau et m’y glisse donc. Hmmm, elle est bien bonne... Je descend
jusqu’a la taille, en prenant soin de ne pas trop mouiller mes gants,
histoire de preserver leur flexibilite (car quand l’eau les mouillant
gèle, ils deviennent assez rigides). Je ressors sans peine en constatant
que la glace, fort rugueuse, n’est pas glissante du tout, meme sous
l’eau. Bizzare. Enfin, cela fait mon affaire...
Je remonte et Giancarlo est bientot de retour avec mes palmes. Nous
finissons de nous equiper et nous pouvons enfin nous glisser
délicieusement dans l’eau glacée et cristalline...
Petit probleme, cependant: mon masque, dans lequel j’ai préalablement
craché, est instantanément recouvert d’une épaisse gangue de glace
aussitôt que je le rince... Bon, tant pis, je le rincerai du mieux que
je peux... Au moins, l’eau de mer fait office d’antigel...
Afin d’eviter le givrage des detendeurs, nous decidons de nager vers
la fin du quai, ce qui leur donnera le temps de se "rechauffer" au
contact de l’eau (mon thermomètre indique moins vingt dans l’air, et
moins un dans l’eau). Cela nous prend une bonne dizaine de minutes, en
nageant paresseusement sur le dos, en profitant du soleil eclatant...
Je guette aussi une eventuelle fuite dans la jambe gauche de mon
habit, mais je ne ressens rien. Ma reparation d’il y a deux jours
serait-elle un succès?
Les murs du quai en métal sont recouvert d’une gangue de glace qui
s’étend depuis un mètre environ au dessus du niveau de l’eau jusqu’a
un mètre par dessous. Plus bas, vers deux mètres, quelques timides
étoiles de mer se promènent, et je remarque meme, ca et la, quelques
boules vertes: des oursins. L’eau est limpide: presque 25 mètres de
visibilité!
Arrivés au bout du quai, je remarque qu’il y a un peu de glace qui
flotte au bout du quai, et decide d’aller y voir de plus près...
Helas, ce n’est que de la sloche sans guère de consistance. Nous ne
jouerons pas au brise-glace...
Mon ami me demande d’ouvrir le robinet de sa bouteille, ce que je fais
très lentement. Puis c’est à mon tour d’y passer. C’est avec un peu
d’appréhension que je prends ma première respiration, tout en prenant
bien soin de garder les deux étages en meme temps dans l’eau, ce qui
m’est pas evident du tout... Mais le redoudé échappement libre dù au
givrage ne survient pas.
Alors que je vide ma veste et mon habit, mon ami plonge d’un coup de
canard impeccable. Je fais de même (hormis l’impeccabilite), et je
descend rapidement au fond, douze mètres plus bas.
Sur le fond sablonneux, il y a quelques oursins, et quelques crevettes
détalent. Mais je cherche mon ami, et je ne le trouve qu’a la surface.
Je remonte donc, pour le retrouver aux prises avec un détendeur qui
detend intempestivement. Je me depeche de lui couper son air. J’ai peur
que cela nous coupe aussi la plongée.
Nous nageons vers le bout du quai, où, accroché à un échelon tout
glacé, il fait mariner son premier étage tandis que je pèle l’épaisse
couche de glace qui le recouvre... Les particules de glace assez molle
virevoltent paresseusement, et bientôt, le détendeur est libre de glace.
Nous attendons quelques minutes, puis j’ouvre lentement sa bouteille.
Je suggère de ne pas respirer en surface, mais un peu plus bas, et
nous nous enfoncons a nouveau, moi un bon metre au dessus.
Point de filet de bulles continu! Victoire! La journée est sauvée. Mais
je crains avoir pavoisé trop vite, car mon deuxième étage semble vouloir
tomber en echappement libre... Je visse a fond le réglage de
sensibilité, et j’évite d’inspirer rapidement. Le miracle se produit,
car la tendance régresse pour disparaitre!
Mon ami est deja au fond, quand je remarque sur un débris de metal
un petit crabe, sur lequel je porte mon attention, quand je remarque
mon ami qui gesticule: une lotte est la, blottie dans le creux de la
palissade en metal du quai! Elle est immobile, la queue contre le
flanc, nous regardant d’un oeil torve... Tordant! Je la saisis par la
queue, et elle se detend sans se debattre tout en ouvrant demesurement
la gueule, au fond de laquelle je distingue tres bien les branchies...
Elle doit être au moins longue comme ça!
Ne voulant pas qu’elle s’axphyxie, je la lâche donc, et elle s’éloigne
paresseusement sans trop avoir l’air de s’inquieter...
Comme tout va bien, nous decidons de tenter de rallier l’epave qui gît
un peu plus loin, à environ 20 mètres de profondeur. Je règle donc mon
compas sur 120 degres (tel que nous l’a expliqué notre contact à
Godbout), et nous commençons a nager vers le large. Au fond, nous voyons
des cônes de dejection de vers enfouis dans le sable, et quelques
siphons de myes communes puis quelques oursins.
Au moment ou je commence a guetter le bloc de ciment qui, à mi-chemin,
permet de se réorienter vers l’épave, je remarque que mon ami est plein
de bulles: son détendeur a regelé. Nous remontons donc tranquillement,
et à la surface, je lui ferme son air (sa bouteille est maintenant a
moitié vide). Il décide donc de rentrer.
Bon. Tant pis. Mais pour ne pas perdre ma journée, je décide de
rentrer au fond. Je redescend donc, et nage vers le bord, seul, mais
en sentant le regard de mon ami qui ne me quitte pas (c’est pas
difficile, vu la visibilité)...
L’eau limpide révèle un fond en pente douce, ou se trouvent quelques
oursins et mollusques divers, dont un bigorneau solitaire (au moins
long comme ca!) qui se promène allègrement sur le fond... Au moment où
je le saisit, il se recroqueville tranquillement en rentrant dans sa
coquille... Je le repose, en prenant soin de le remettre sur le
ventre. Je sais pas si un escargot est comme une tortue (ils ont du
moins la meme allure), mais je ne veux pas prendre le risque de mettre
la santé d’un bigorneau en peril...
Au loin, je remarque des taches blanches. Me doutant bien que ce
soient des carcasses de phoques rejetées par des chasseurs, je ne
pousse pas plus loin ma curiosité, mais je n’ai pas à m’en faire, car
j’en croiserai bientôt de près quelques-unes. Tête de phoque, nageoires,
queue. Meme un qui a encore son torse attache, les côtes bien
nettoyees. Tout y est. Mais improbablement blanche, la viande du
phoque etant noire. Je ne m’attarde pas.
Je suis maintenant pres du bord; avisant le fond de la rampe de
lancement, je me dirige dans cette direction. Arrivé, je remarque que
la glace du fond se décolle tranquillement, je décide donc de forcer
la nature... Curieusement, la glace est molle, plutot neige (tres)
mouillee que glace dure, mais conservant quand-meme une certaine
cohesion, suffisante pour que les morceaux de glace ne se désintegrent
pas en arrivant a la surface. Je joue à ce jeu pour quelques minutes,
quand je décide de ressortir de l’eau.
Je monte sur la glace a genoux, puis c’est l’habituelle grande
difficulté pour enlever mes palmes (mais je crois que j’ai finalement
trouve la bonne façon: je m’assieds en indien, les jambes croisées, ce
qui me permet de tirer sur l’une et l’autre de mes palmes a deux
mains...), ce qui me permet de me lever. Je dégouline, et j’ai la
surprise de ne pas voir toute cette eau geler sur ma combinaison...
C’est normal, c’est de l’eau salee...
Mais ça ne m’empeche pas d’oublier de débrancher mes boyaux gonfleurs
qui se sont joyeusement enrobés de glace... Heureusement que nous
avons pris la précaution d’emmener une glacière pleine d’eau chaude,
ce qui me permet de dégeler tout ça rapidement. Puis nous rentrons a
l’auberge, où nous pouvons nous déshabiller dans le confort de la
veranda, bien chauffée grace au soleil qui y plombe depuis le matin...
Victoire! Ma jambe est sèche! Tout au plus quelques gouttes mouillent
le pied. Cela et l’habituelle insaisissable fuite diffuse dans le dos
sont les seules voies d’eau de mon habit. J’ai l’impression que si ca
continue comme ça, on en verra d’autres, lui et moi!!!
Le reste de la journée est passe a l’auberge, a placotter avec
l’aubergiste dans la cuisine (malgré l’injonction d’une pancarte qui
proclame: "Nous ne tolérons aucun espion dans nos chaudrons"), ou à
prendre une grande marche sur la rue longeant la rive, en respirant
l’air vivifiant du large à moins vingt.
Au repas du soir, l’aubergiste m’a preparé comme entrée une assiette
de phoque, auquel j’etais curieux de goûter. Une viande toute noire
lorsque crue, et qui n’a pas si mauvais gout que ça: on dirait un
steak cuit dans de l’huile de foie de morue, arriere-gout previsible
(rapport a la diète du principal interessé - les phoques se sont mérités
un statut de vermine grâce à leur consommation industrielle de morue, ce
qui a causé un effondrement des stocks, car la population de phoques qui
était gardée en équilibre grâce à la chasse pratiquée depuis plus de
10,000 ans a explosé suite à l’interdiction - pour des raisons
totallement irrationnelles, comme toutes les catastrophes écologiques -
de la chasse au phoques) aisement dissimulé avec une bonne sauce au
poivre. M’est avis que les japonais aimeront ce truc (helas, ca ne se
conserve pas, meme congele). Entretemps, Frigide Bardasse est en serieux
manque de plomb dans la tete, car le phoque, ca se bouffe, c’est pas
degueulasse du tout, et ca a tout le potentiel pour etre populaire, chez
les snobs (probablement a condition d’avoir une bonne campagne de
publicité)...
Faut dire qu’y a pas meilleur pour dire des conneries que les écolos à
la con du style de graine-pisse. Les écolos que je connais bien (et qui
ont de très grandes réserves quant a la pertinence d’une limitation de
la chasse au phoque) ont non seulement un cerveau derriere la luette,
mais aussi une bonne garniture d’informations pour nourrir le cerveau,
ce qui les empêche de dire des conneries, bref, tout le contraire de la
grosse connasse a Bardasse qui desirerait accoucher d’un chien (si elle
continue a frequenter ce gros chien sale de Le Pen, ca va surement lui
arriver)...
Le grand-prix d’australie arrivant, et tout le monde à l’auberge ayant
décidé de le voir a la télé, je décide d’aller faire un tour, histoire
de voir les etoiles, car le ciel est clair. Mais il faut que je
m’éloigne du village, loin dans le bois, en raison des lumieres, ce qui
est aisé en empruntant la piste de motoneige, la neige y étant bien
tapée. Quand je reviens, tout le monde est couché!
Le lendemain, le vent est favorable pour aller voir les phoques, mais
comme le port est completement gelé, et qu’il n’y a pas de traversier le
dimanche (pour casser la glace), la sortie est encore annulée. Nous
décidons donc de rentrer d’une traite à Montréal, avec seulement un
arrêt-photo aux Escoumins (c’est drôle de voir un site de plongée favori
en hiver), un arrêt-essence à Tadoussac, un arrêt-buffet a Saint-Siméon
et un arrêt-pipi à Sainte-Anne-De-Beaupre.
Bref, 1400 km en bagnole pour 20 minutes au fond du fleuve et quelques
bouchées de phoque...