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Cliché : Richard Larocque. | |
L’an dernier, nous avons inopinément découvert au cours de plongées de nuit
des nectures tachetés (Necturus maculosus grosses salamandres
de 30-40cm de long) au fond du canal de Soulanges. Se demandant si elles
sont là de jour aussi, on a décidé d’y aller voir de plus près.
C’est donc par une journée d’abord ennuagée où règne une température de
moins vingt degrés (-20°C) que nous quittons le confort douillet de
nos lits, pour se rencontrer à côté de la troisième écluse du canal de
Soulanges, à Pointe-des-Cascades.
Avisant un autre groupe de plongeurs, nous décidons de leur laisser le champ
libre, le temps d’écluser un café. Bien nous en prit, car au retour, le
soleil brille gaillardement, histoire de tenter de réchauffer le voisinage.
De retour, à l’écluse, on s’équipe gentiment, tandis que dans l’eau, parmi
les glaçons, s’ébattent gaiement l’autre floppée de plongeurs. Renseignement
pris, ces messieurs ont subi un grand nombre de détendeurs gelés.
Je prend donc la précaution de déposer ma bouteille dans l’eau, en veillant
bien à ce que le premier étage soit dans l’eau, histoire de le réchauffer un
peu. Puis, en attendant les autres, je m’en vais me promener sur la glace,
toute blanche de givre, où se trouvent déja deux autres mecs en grande tenue
(sèche).
La glace craque de partout. Sous mes pieds, de fines craquelures
apparaîssent. Je constate que TOUTE la surface de la glace ondule
gaiement... Puis c’est au tour du gars aventuré le plus loin de passer au
travers. Faut dire qu’il l’a cherché, vu qu’il sautait à pieds-joints de
toutes ses forces...
Mais la glace mouillée, contrairement à la glace bien sèche et rugueuse de
givre... ça glisse... Plus que la cire-qui-ne-glisse-pas de Gaston
Lagaffe... Et de voir notre quidam se débattre, d’essayer de se hisser sur
la mini-banquise, pour voir celle-ci se dérober sous son poids, dans une
belle gerbe d’eau s’en allant éclabousser la glace plus loin.
Je me jette (doucement!) à plat ventre, puis rampe vers lui en lui tendant
la main. Au moment où il va me la saisir, je sens une autre main se serrer
près de mes orteils... Le deuxième larron a décidé de me donner un petit
coup de main. Nous tirons ensemble, et notre sauteur est vite de retour au
sec...
Revenu sur la berge, je constate que mes deux larrons à moi sont presque
prêts. Je mets donc mes plombs, mes palmes et endosse mon scaphandre, et me
glisse délicieusement dans l’eau glacée.
Mes larrons font de même, et, malgré qu'ils aint vu le jour sur des eaux
plus clémentes, à savoir le Golfe de Gênes ainsi que le Golfe du Tonkin, ils
ne semblent pas trouver l'expérience désagréable...
Mes gants neufs demeurent résolument chauds. Pas la moindre goutte ne suinte
à l’intérieur avant de longues minutes! Mes deux larrons dûment prêts et
équipés, on s’ouvre mutuellement nos bouteilles.
Las! les gargouillis provenant de mon matériel augurent mal! Complètement
gelé! Les quelques tentatives infructueuses poussent un gars de l’aute
groupe à me proposer de l’eau chaude.
Je nage donc vers lui, et il me verse, du haut du mur du canal, quelques
litres d’eau bien chaude dans mes deuxièmes étages. Mais c’est inutile, en
ressayant l’air, ça rebouillonne. Et en duo!
C’est ton premier étage qui est gelé, qu’il me lance. Qu’à cela ne
tienne, je me positionne de façon à ce qu’il puisse me verser son eau
chaude sur le détendeur...
Miracle! Ça marche! Après un traitement identique pour l’un de mes autres
copains, je peux donc descendre au fond du canal, 5 mètres plus bas. C’est
vraiment curieux de pouvoir regarder du fond les glaçons qui ballottent
paresseusement sur la surface...
Mais pas le moindre necture. Nous nageons vers la porte de l’écluse, d’où
s’écoule une cascade qui a l’heureux effet d’empêcher le canal de geler sur
une trentaine de mètres, ce qui nous dispense de l’exercice du perçage du
trou dans la glace, fut-il (pourquoi se faire chier?) triangulaire.
Donc, au fond, histoire de ne pas trop être négatif, je décide de gonfler un
peu ma combinaison. J’appuie sur le bouton de gonglage, et je sens un cercle
mouillé sur la poitrine... Merde, je n’ai pas raccordé le boyau de
gonflage... Je lève la main, tâtonne un peu sur mon détendeur, et trouve le
boyau que je raccode aussitôt. Pour la forme, j’insuffle une bouffée d’air
dans mon vêtement (pas trop, vu la très faible profondeur).
Au pied de l’écluse, au dessus de nos têtes, un bouillonnement marque
l’endoit où la cascade amerrit. Malgré la grance hauteur de la chute d’eau,
le bouilllonnement ne fait même pas le mètre de profondeur... Sur les côtés,
les tunnels de vidange béent, assez accueuilants.
Et si... Et si les nectures s’y cachaient? Si ils ne sortent que le soir
(nous ne les avons vus que pendant la nuit), c’est l’endroit rêvé pour se
planter durant le jour... Nous pénétrons donc, quelques mètres, jusqu’au
coude du tunnel, où il fait noir.
Le sol est jonché de cailloux. Un des murs du tunnel porte un graffiti, et
nos bulles se ramassent au faite de la voûte. Mais point de nectures.
Dépités, nous rebroussons chemins.
Sortis, nous longeons le bas des énormes portes de l’écluse, tout en
cherchant de la main les fuites... Parvenus de l’autre côté du canal, même
exercice, même pénétration du tunnel. Pas de necture non plus.
En ressortant, je sens que ma bouteille se détache. Je me pose donc au fond,
en attendant qu’un de mes comparses referme la boucle convenablement. Mais
c’est à ce moment que mon octopus décide de geler, et de tomber en
écoulement continu. Constatant que j’ai amplement d’air, je remonte bien
tranquillement, pour émerger juste à côté de la cascade...
Ma valve refermée, je lance à mes comparses qu’ils peuvent continuer sans
moi. Je regagne donc le point d’entrée à la nage, me frayant un chemin parmi
les micro-icebergs. Avant de sortir de l’eau, je débranche le gonfleur de ma
combinaison "étanche", puis de mon gilet, histoire d’éviter qu’ils
deviennent inséparables, grâce au cocon de glace qui ne tarde pas à se
former dès qu’ils sont exposés à l’air (qui, soleil aidant, doit être à
moins quinze, environ).
J’enlève mes plombs, les dépose sur la berge, puis c’est au tour du gilet.
En enlevant la bouteille, elle glisse, et commence à rouler vers le fond du
canal... Je lance le gilet et le détendeur sur le bord, puis plonge sans
masque vers la bouteille.
Hooo, c’est brouillé, mais comme elle est blanche, je n’ai pas de peine à la
repérer, en en deux secondes, je l’ai attrapée, et je ne remonte donc pas
bredouille.
J’empile le tout dans un beau tas propre, puis propose à mes deux lurons
d’aller batifoler un peu dans la glace, ce que nous fesons avec joie. On
nage en écartant les glaçons, on les empile par en dessous, on joue au
brise-glace, bref, on ne s’ennuie pas...
Je suis finalement le dernier à sortir de l’eau. En sortant, l’eau qui me
mouille gèle instantanément. Je ramène mon barda à l’auto, et constate que
la fermeture de nos combinaisons sont également gelées...
Une seule solution: à l’eau! Nous y retournons donc faire la planche
quelques minutes, tout en fredonnant "O sole mio" (c’est vraiment pratique
d’avoir un moniteur italien parmi ses comparses - y'a t'il un équivalent
vietnamien???), en l’honneur du soleil qui, malgré son enthousiasme, ne
parvient pas à réchauffer l’environnement...
Cette fois-ci, pas de chance à prendre: nous ouvrons nos combinaisons encore
les pieds dans l’eau...
On remonte, on emballe le tout, et on se souhaite une bonne année...
Rideau.