Les curieux seront ravis de cliquer sur le lien ci-dessus, pour y trouver plus d'information sur le tunnel.
Les moins curieux le découvriront plus tard, en cliquant quelque-part plus bas...
Lors d'un de mes premiers passages dans le tunnel Mont-Royal, au cours du fameux voyage des Amis du Rail en 1977 qui m'a fait basculer dans la ferrovipathie, je regardais par la fenêtre défiler les lampadaires du tunnel, de même que la paroi rocheuse irrégulière de l'autre côté du tunnel.
Puis, soudain, j'ai cru deviner une ouverture dans le piédroit, mais cette vision fugitive s'est perdue dans le noir, me laissant un curieux souvenir.
Quelques mois plus tard, revenant d'un autre voyage spécial, je me tenais sur le vestibule arrière de la dernière voiture, bien déterminé à trouver cette ouverture. Malgré que nous circulions sur l'autre voie, ce qui veut dire que l'ouverture sera visible à un angle plus plat, donc plus difficile à voir, j'ai pu discerner, lors d'un léger élargissement du tunnel, deux ouvertures de part et d'autre d'un renflement en béton.
Il y a bien une ouverture dans le piédroit du tunnel!!!
Trois années s'écoulent, jusqu'au moment où, par originalité, je décide d'aller travailler en train. Bien que le trajet ne soit pas commode (la distance est plus longue, et comme les tarifs n'étaient pas, à l'époque, "intégrés", ça me coûtait plus cher), ça prenait sensiblement le même temps qu'en autobus et en Métro.
Il ne me faut que quelques semaines pour être admis dans la "bande du dernier vestibule du train de 17h20"... Le plus comique est que le signaleur qui y est posté, un ancien camarade de classe qui prend irrégulièrement ce train ainsi qu'un de mes copains qui travaille pour VIA Rail et qui, par hasard, prend ce même train partagent tous le même prénom que moi...
Donc, à tous les jours, nous papotons de choses et d'autre en se tenant debout dans le dernier vestibule du train, conversation rythmée par le cliquetis des bogies à six roues (c'était le temps des vieilles voitures des années 20, à l'intérieur en bois) sur les joints de la voie, tout en regardant défiler la voûte et les piédroits irréguliers du tunnel. J'ai même, un jour, pris une photo au flash et elle est bien sortie, révélant même une bonne quantité de graffitis. Ça doit être les graffitis les plus isolés de Montréal...
Évidemment, on se doute que je guettai avec avidité le passage des fameuses ouvertures, (oh, ce n'est pas si difficile que ça: j'ai vite remarqué, sur les lampadaires au milieu du tunnel, des plaques numérotées indicant le numéro de section. Le puits débouche dans la section n° 31...) ouvertures que j'ai accolées au puits de ventilation qui débouche sur le boulevard Édouard-Montpetit.
Une excursion à vélo à cet endroit a révélé un tout petit bâtiment, d'environ 6m de côté, blotti contre une maison curieusement isolée. Un mât de bois, planté à côté de l'édicule, brandit fièrement une antenne de radio; la paternité au CN de l'édifice est revendiquée par un numéro d'identification typiquement du CN: en caractères Helvética noirs sur fond blanc...
Sur chaque face, trois fenêtres bouchées par des baffles. Une porte blindée donne accès à l'intérieur, mais comme le tout est entouré d'une clôture avec barbelés, on n'y pense pas trop...
Vers 1983, commencent les travaux d'achèvement de la ligne n°5 du Métro. Une station s'érige tout autour du puits de ventilation: Édouard-Montpetit. Bien évidemment, je porte un intérêt tout particulier au chantier de cette dernière... Mais l'observation par dessus les palissades du chantier me laisse sur mon appétit: on n'aperçoit, dans le meilleur des cas, un bête évasement du puits de ventilation près de la surface, évasement vite recouvert de coffrages.
La station finale aura causé la démolition de la maison isolée, à la place de laquelle une curieuse déviation du boulevard Édouard-Montpetit passera; l'édicule coîffant le puits est ravalé à une bête grille de ventilation, identique à celle ventilant la station, juste à côté (voir photo ci-dessous; le puits de ventilation du tunnel aboutit dans la grille à gauche des arbustes, tandis que celle du métro aboutit à droite). Par contre, le mât en bois pour l'antenne de radio est remplacé par un très beau mât en béton armé qui s'élance à côté de l'édicule principal de la station.
Par coïncidence, lors de l'inauguration de cette ligne, en 1987, un buffet a lieu à cette station. Il ne me faut pas deux secondes pour discerner une porte laissé ouverte près de l'escalier de l'édicule principale: de toutes évidences, la porte donne sur un escalier descendant, que je m'empresse de descendre.
Hélàs, ce n'est que pour tomber sur un bête local technique, ne donnant pas sur le puits de ventilation dont il est séparé par un mur de béton. Tout au plus y trouve-t'on des « boîtes noires » qui sont, de toutes évidence, des répéteurs-radio, vraisemblablement pour assurer les communications avec les trains dans le tunnel.
Je remonte, un peu dépité... Heureusement que la présence d'un des ingénieurs qui a collaboré à la réalisation du réseau initial du Métro, vingt ans plus tôt, est là, ça donne une conversation très intéressante...
En 1984, après 4 ans de voyages quotidiens dans le tunnel, j'ai changé d'emploi. Il m'était venu difficile de justifier le détour par le tunnel, vu que le lieu de mon nouvel emploi était situé à proximité du terminus d'un autobus passant juste à côté de chez-moi. J'ai donc cessé de fréquenter le tunnel, et de regarder passer les ouvertures du puits de ventilation. Ça ne m'a pas tout à fait réussi, car je me suis mis à rêver au tunnel et, notamment, du puits de ventilation...
Mais, quelques années plus tard, je me suis lié d'amitié avec un chef de traction (que je ne nommerai pas), qui a vite découver les avantages de se stationner en banlieue et de prendre le train pour venir travailler en ville, à la Gare Centrale... Mon emploi à ce moment me permettait parfois de pouvoir me libérer pour prendre le train avec lui. C'était le début des années 90, et sachant que les vieilles locomotives électriques n'en avaient plus pour longtemps, toutes les occasions étaient bonnes pour faire un tour DANS la locomotive, avec visite commentée du tunnel, au cours desquelles ce fut ensuite un jeu d'enfant de faire partager mon obsession sur mon copain (les équipages des trains trouvaient incroyable qu'on puisse se passionner autant pour un tunnel)...
Et finalement, un beau jour, n'en pouvant plus, le chef de traction s'en fût trouver le chef des sectionnaires (cantonniers) responsable notamment de la voie du tunnel. Ce fut, pour lui, un jeu d'enfant d'organiser une virée pas tout à fait clandestine, mais pas tout à fait officielle non plus.
But: le fabuleux, extraordinaire, fantastique puits de ventilation du tunnel Mont-Royal!!!! |
Donc, un beau jour, le quai de la voie 7 voit déambuler trois personnages qui s'en vont directement dans la cabine d'une rame à unité multiples. Après les salamalecs envers le mécanicien, nous attendons le départ. Le mécano tique un peu à la vue de mon trépied, mais ne dit rien.
« Moyenne à normale », annonce le chef de traction, lorsque le poste Wellington nous donne notre itinéaire et que le signal nain au bout du quai affiche un feu vert par dessus un feu route. « Moyenne à normale » répond le mécanicien. Puis l'heure arrive, et le chef de train nous donne le « highball » à la radio. La rame roule lentement pour négocier les aiguillages jusqu'au tunnel, puis le chef de traction donne la couleur: « Peux-tu nous déposer entre la section 31 et la section 32 »? Regard étonné du mécano, qui ne bronche cependant pas. La rame se dandine en se tortillant vers l'entrée du tunnel, à petite vitesse.
Puis, le tunnel engouffré (ou plutôt le contraire), on prend de la vitesse, mais lentement d'abord, car le tunnel est en courbe pour environ 500m. La courbe terminée, le tunnel se dévoile dans sa resplendissante rectitude: on aperçoit faiblement le jour, 5 kilomètres plus loin à Portal-Heights (maintenant Canora). Quelques crans plus tard, nous roulons assez vite à belle allure; mais comme les motrices sont en arrière de la rame, nous n'avons pas droit au concert des moteurs de traction qui grognent pour gravir la rampe de 6 du tunnel...
Nous regardons défiler les sections une après l'autre. Il me semble que plus nous approchons de la section 31, plus l'intervalle entre les sections s'allonge... 25... 26... Inutile de tenter de parler d'autre chose, je suis trop fébrile... 27... 28... Je ris à moitié de la plaisanterie qui vient de fuser, et que je n'ai pas entendue, tellement je suis occupé à guetter la fameuse section 31...
30... La rame ralentit, et juste un peu après le lampadaire portant l'écriteau « 31 », elle stoppe. Au moment où nous ouvrons la trappe de la porte, après avoir ouvert celle-ci pour descendre, le chef de train arrive dans la cabine s'informer de ce qui se passe. « Oh, ces gars-là descendent ici », La Palice le mécanicien. Nous descendons sur le trottoir courant entre les deux voies, et chef de train ne dit rien, mais referme la porte quand la rame s'ébranle à nouveau vers le nord.
La rame disparaît petit à petit dans le lointain point de lumière qui est le portail nord. Au cliquetis des roues et au grondement des moteurs de traction qui disparaît tranquillement, succède un silence irréel, feutré. Pas le moindre écho non-plus : le son de nos voix est absorbé par les parois rocheuses. Nous déambulons lentement vers le débouché du puits de ventilation, environ 50m plus au nord.
Je saisis sur pellicule l'immortalité du moment...
Une des deux ouvertures donnant sur le puits de ventilation. |
Une vue générale du tunnel. Le jour n'est pas à proximité, mais à plus de 1500m. |
J'ose à peine pénétrer dans le puits lui-même... On s'assure d'abord qu'il est sécuritaire de le faire; le chef de section nous assure qu'il n'y a rien à craindre... Le fond est en fait une énorme flaque d'eau crystalline: celle ci dégouline généreusement du puits. En fait, je me fais tremper en prenant la photo vers le haut du puits...
Pour revenir, nous allons stopper le prochain train de banlieue qui revient vers Montréal. Notre exploration terminée, il nous reste une vingtaine de minutes à attendre.
Soudain, dans le noir, on discerne une lampe se dandinant, comme portée par quelqu'un. Ce quelqu'un se précise, et échange quelques salamalecs avec le chef de section: c'est le préposé à la vérification des téléphones d'urgence du tunnel qui fait sa tournée. Il est étonné un peu de nous voir ici, mais sans plus...
Il en a sans doute vu d'autres... Un ami de mon père me racontait, dans sa jeunesse, avoir marché avec sa bande d'un bout à l'autre du tunnel, avec comité d'accueuil de la police du CN à l'autre bout. Et, vu la présence de graffitis même à cet endroit reculé, il doit y avoir plus d'une incursion clandestine...
Puis, à l'heure prévue, l'aspect d'un des deux demi-tunnels à l'extrémité nord change soudainement: le train de banlieue s'en vient. De blanche, la lumière devient jaune: les phares de l'automotrice électrique.
Celle-ci s'en vient tranquillement, et le chef de section nous dit de nous tenir sur la voie nord, alors qu'il a un pied sur la voie sud, et balance tranquillement sa lanterne selon les prescriptions de la règle 12Ai...
Le mécano a bien vu le signal, et stoppe juste à notre hauteur. La cabine est pleine de visiteurs, mais ils se tassent pour ouvrir la porte et nous laisser monter à bord.
Comme il n'y a plus de place pour moi dans la cabine, j'entre dans le compartiment avec les voyageurs, et m'assied parmi ceux-ci. La porte de la cabine est bruyamment refermée, et le chef de train arrive, en demandant les billets.
Je lui montre ma carte d'abonnement, comme si de rien n'était.
Ah! Si vous aviez vu la tête des autres voyageurs!!!! Le train s'arrête au milieu du tunnel, et un passager monte à bord, et s'installe, l'air de rien... Hilarant!!!
Cela compense largement pour ne pas finir le voyage en cabine... Bah! de toutes façons, j'ai assouvi un très vieux rêve : aller jeter un coup d'oeil dans le puits de ventilation du tunnel Mont-Royal!
Durant les étés 1994 et 1995, la ligne de Deux-Montagnes a été radicalement reconstruite; pour ainsi dire, à neuf. La première année, on a refait la voie, et la seconde, la caténaire et les signaux. Le tunnel n'y a pas échappé... Les piédroits ont reçu une grande quantité de crochets pour recevoir des câbles électriques, et l'éclairage a été remplacé par des lampes à l'endroit où le piédroit devient la voûte. Au droit de chacun des nouveaux signaux, des niches ont été creusées à même le roc pour recevoir les armoires de signalisation.
Le puits de ventilation, lui, est toujours là, mais ses entrées ont été munies de fort grillages. Allez savoir pourquoi!
Il n'est donc plus possible à présent de faire une petite virée dans le puits de ventilation...
Et je ne rêve plus au tunnel la nuit.
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