…Une vague de fierté française bientôt recouverte par celle d’une douleur inconsolée, toutes les deux venues du lointain de l’Histoire.Charles de Gaulle, lors de sa première visite à Québec, en 1944.MDG (Charles de Gaulle, in Mémoires de Guerre [Plon ed.]),
tome II, p. 241– Ah, messieurs, ce fut un voyage magnifique, magnifique!!!Au retour de Montréal, à Orly, le 27 juillet 1967. (Anne et Pierre Rouanet, in Les trois derniers chagrins du général de Gaulle,
[Grasset ed.]), p.24
Mais que s’est-il donc passé entre ces deux citations, proférées à moins de 25 ans d’intervalle?
Cette page est tendrement dédiée à la mémoire du regretté professeur Gérald Robitaille, de l’institut de recherches nucléaires de Saclay, qui a su, plus que quiconque, me faire découvrir la grandeur inhérente à la République Française, et qui m’a donné l’impulsion qui m’a lancé sur une merveilleuse et constante découverte de l’oeuvre de Charles de Gaulle.
Un coup de tête?
Coup de tête? Acte prémédité? Depuis ce 24 juillet
1967, plus rien ne sera pareil au Québec. Un mouvement alors marginalisé,
et toujours réprimé par la désinformation, la violence puis
finalement par un boycott économique que seuls des mauvais perdants au
plus haut degré peuvent concevoir, vient tout juste de recevoir un aval
de taille.
Celui du plus illustre des français.
Charles de Gaulle, né en 1890, est sûrement le plus grand homme
d’état français du vingtième siècle. Bien qu’ayant
tôt embrassé la carrière militaire, il s’est avéré
être un écrivain de talent, un historien hors-pair dont l’analyse
s’est souvent révélée quasiment presciente, et un des
rares hommes politiques qui a su élever la probité à des
niveaux stratosphériques.
Pour Charles de Gaulle, seule la France méritait son attention soutenue.
Que ne l’a t’il pas cajolée, tant aimée, défendue
d’abord contre les assauts teutons, puis ensuite contre les tentatives de
mainmise anglo-saxonne? Et trop souvent malgré elle? Seule une passion
hors du commun a pu permettre tant à un seul homme, trop souvent seul.
Mais comment une simple « visite à une foire-exposition » a t’elle pu susciter tant de remous?
Et c’est qu’on aurait pu croire un moment qu’elle n’aurait
jamais eu lieu… Pressé par l’ambassadeur canadien d’adresser
ses voeux pour le centième anniversaire de la confédération,
le Général addressa la note manuscrite suivante à ses subordonnés:
– Il n'est pas question que j'addresse un message au Canada pour célébrer son «centenaire». Nous pouvons avoir de bonnes relations avec le Canada. Nous devons en avoir d'excellentes avec le Canada français. Mais nous n'avons pas à féliciter ni les canadiens ni nous-mêmes de la création d'un «état» fondé sur notre défaite d'autrefois et surtout l'intégration d'une partie du peuple français dans un ensemble britannique. Au demeurant, cet ensemble est devenu bien précaire.
C’était clair et sans équivoque. Le Canada, du fait de son ambiguïté
inhérente, ne méritait pas les égards auquel un autre pays
put prétendre, d’autant plus ce ce "pays" a été édifié
sur le dos des colons lâchement abandonnés par la monarchie française.
Le Général n’était pas peu au fait de la réalité
canadienne. Sa première venue date de 1944, alors que l’avance alliée
contre les puissances de l’Axe leur garantissait pratiquement la victoire.
– Lors de mes précédent passages, en 1944 et en 1945, l'appareil de guerre couvrant tout, [je n'avais] pu qu'entrevoir les réalités profondes qui font de la fédération canadienne un état permétuellement mal à son aise, ambigu et artificiel. Mon ami, le général Vanier, nous reçoit en sa qualité de gouverneur-général. Sa personne est, au plus haut degré, respectable et respectée. Il exerce sa fonction avec la plus grande dignité et le plus complet loyalisme. Il déploie des trésors de bonne grâce pour que tout nous semble normal et bien en place. Mais, quoi qu'il puisse faire, les contradiction inhérentes à la fédération ne manques pas d'apparaître.
Lui-même, d'ailleurs, n'y échappe pas. Il fait fonction de Chef de l'état, alors qu'il est nommé par la reine d'Angleterre et que, pourtant, le territoire se veut exempt de toute dépendance. Il est, ainsi que sa femme, entièrement français de souche, d'esprit, de goût, bien que sa race ne se soit maintenue qu'en luttant sans relâche contre toutes les formes d'oppression ou de séduction déployées par les conquérants pour la réduire et la dissoudre.Charles de Gaulle,relatant sa visite au Canada en avril 1960,
in Mémoires d'espoir, p.251
Puis, un peu plus loin:
[…] – Montréal fait la même impression que Québec, accentuée toutefois par le caractère massif et populeux de l'agglomération, par l'angoisse diffuse que répand l'emprise grandissante des anglo-saxons possesseurs et directeurs des usines, des banques, des magasins, des bureaux, par la subordination économique, sociale, linguistique, qui en résulte pour les français, par l'action de l'administration fédérale qui anglicise d'office tous les immigrants.Charles de Gaulle, relatant sa visite au Canada en avril 1960,
in Mémoires d'espoir, p.254
L’invitation d’Ottawa allait croupir de longs mois dans les tiroirs
du Quai d’Orsay, ne suscitant pas l’enthousiasme du plus illustre des
français.
Mais la venue du premier ministre Daniel Johnson, et sa rencontre avec le
Général, à l’élysée allait changer les
choses. Le Québec invitait officiellement le président de la République
Française à lui rendre visite à l’occasion de l’exposition
universelle de 1967.
– Mon général, mon peuple vous accueuillera…
En janvier 1967, après avoir réfléchi à la question, le Général adresse au premier ministre (Georges Pompidou), au ministre des armées (Pierre Messmer) et au ministre des affaires étrangères (Maurice Couve de Murville) une note où il suggère, en substance, de se rendre au Québec en navire de guerre, et recommande de réserver le croiseur Le Colbert.
(éditorial de Jean-Marc Léger, 24 juillet 1967) :
Des grands acteurs du drame mondial d'il y a ving-cinq ans, de Gaulle est le seul à jouer encore un rôle de premier plan dans les affaires internationales. Parmi les dirigeants actuels des grandes puissances, il est le seul à avoir une égale audience en Occident et à l'Est comme dans l'immense tiers-monde. L'ancien président Kennedy disait, au retour de Paris: «J'ai vu un monument qui s'appelle Charles de Gaulle». On ne pouvait mieux décrire le rôle et la place du chef de l'état français, mieux rappeller qu'il appartient à l'Histoire et au présent, ensemble à la France et au monde. (…)
De Gaulle parmi nous
Montréal, rue Notre-Dame, en face de l’Hôtel de Ville, au début de la soirée.
Une foule compacte attend patiemment devant l’hôtel de ville, dans une ambiance toute empreinte de bonhomie. Du Château de Ramezay, jusqu’au delà de la colonne Nelson (l’authentique, ayant été érigée bien avant celle érigée à Londres; n’oublions pas que nous sommes dans une colonie britannique), c’est une marée humaine, le brouhaha constant de la foule qui sent bien que quelque-chose d’extraordinaire est sur le point de se passer.
Parmi la foule, un cordon de sécurité entoure l’Hôtel de ville, composé de policiers plus ou moins en civil. La foule est calme, fébrile, ponctuée de calicots, banderolles et de pancartes aux slogans nationalistes.
Charles de Gaulle est à bord d’une somptueuse limousine décapotable, et descend tranquillement la côte de la rue Saint-Denis. Le chauffeur suit une chaîne de fleurs-de-lys peintes sur l’asphalte, chaîne qui s’étire depuis la capitale Québec, le long du Chemin-du-Roy.
Au fur et à mesure que la limousine s’approche de l’Hôtel-de-ville, la foule forte de plus de 10,000 personnes, alertée par le compte-rendu de la radio diffusée sur une myriade de transistors, s’enhardit, et la clameur s’amplifie peu à peu.
Puis le Général, flanqué du premier ministre du Québec, Daniel Johnson, tous deux debouts dans la limousine décapotable, parvient au terme de sa chevauchée fantastique. Il vient de s’acquitter de la dette de Louis XV.
Il est aussitôt acueuilli puis engouffré dans l’Hôtel de ville pas son nouvel hôte, le maire Jean Drapeau, politicien opportuniste qui a su pousser fort loin l’art de l’autocratisme, fort soucieux de récupérer à son avantage la présence du plus illustre des Français. S’étant éclipsé quelques minutes pour un « coup de peigne », le général est aussitôt mené vers l’ascenceur par le seul maire à bord, même avant dieu.
La cabine parvenue au premier étage, on sort. Un moment d’hésitation du Général.
D’un côté, un murmure respectueux, de l’autre, une porte de balcon d’ou on ne voit que des installations portuaires mais d’où parvient une clameur populaire.
— « Quand j'ai dù m'exprimer, j'ai vu devant moi une balance avec les deux plateaux: dans un des plateaux, les diplomates… (un geste pour montrer leur caractère volatil), les journalistes… (même geste de nettoyage), les Anglo-Saxons qui, de toute façon, ne m’aiment pas… bref, tous les notoires. Entre cette agitation insignifiante et le destin de tout un peuple, Il n’y avait pas à hésiter: le second plateau était beaucoup plus gros que le premier. »Charles De Gaulle, dix semaines plus tard, à Bernard Dorin (Anne et Pierre Rouanet, in
Les trois derniers chagrins du général de Gaulle,
[Grasset ed.]), pp. 115, 116
Le mari de Tante Yvonne n'a pas hésité une seconde. Malgré le maire qui l'aiguillait à droite, il tourne à gauche.
– Mon Général, ce n'est pas à ce balcon que vous devez prendre la parole!Bernard Durand, directeur du protocole. – Mais il faut bien que je leur dise quelque-chose, à tous ces gens qui m'appellent…
Le Maire est là, comme une dame à toutou contemplant la laisse rompue au bout de ses doigts.
Comme la dame appelle une dernière fois son toutou, en commençant à pressentir combien c'est dérisoire, le Maire sort son dernier biscuit:
– Mon Général, Il n’y a pas de micro! – Et ça, alors, qu'est-ce que c'est? (Anne et Pierre Rouanet, in
Les trois derniers chagrins du général de Gaulle,
[Grasset ed.]), p. 116
C'est le vieux guerrier qui a parlé, toisant tout le monde du haut de ses 77 ans sonnants et trébuchants. Malgré sa cataracte, malgré l'absence de ses lunettes, malgré la déterioration patente de ce qu'il appelle « la carcasse », le Général a vu, tout lové sur lui-même dans un recoin sombre du balcon, un micro qui traînait là.
– ça, concède le Maire, dans un couac étouffé, c'est un micro…
Soudain, après une pause, il s'enhardit:
– Il n'est pas branché!– Ce n'est rien, Monsieur le Maire, je peux aussi bien le rebrancher.
Cassé, le miracle attendu du Maire et des Notoires… Cassé le rève des hégémonistes anglo-saxons qui attendent là, tous empreints d'une admiration blasée hypocritement feinte, tout en redoutant un de ces coups de tête propres au Général, qui ne se gêne pas pour secouer les cages de par le monde… Cassé par un petit homme bien ordinaire, un technicien anonyme qui se trouvait là, parmi les Grands et les moins grands, les Illustres, les notoires et les éphémaires, par hasard…
Un empereur qui s'occupe des poignées de portes…Gilles Loiselle, en parlant du maire Drapeau…
Le Maire se retire par en arrière, pour demeurer en retrait du plus illustre des Français, tandis que le petit homme bien ordinaire rebranche le micro.
C'est une immense émotion qui remplit mon coeur en voyant devant moi la ville française de Montréal.
Au nom du vieux pays, au nom de la France, je vous salue de tout mon cœur!
Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas. Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération!
Outre cela, j'ai constaté quel immense effort de progrès, de développement, et par conséquent d'affranchissement vous accomplissez ici et c'est à Montréal qu'il faut que je le dise, parce que, s'il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c'est la vôtre. Je dis c'est la vôtre et je me permets d'ajouter c'est la nôtre.
Si vous saviez quelle confiance la France réveillée par d'immenses épreuves porte vers vous! Si vous saviez quelle affection elle recommence à ressentir pour les Français du Canada et si vous saviez à quel point elle se sent obligée à concourir à votre marche en avant, à votre progrès!
C'est pourquoi elle a conclu avec le gouvernement du Québec, avec celui de mon ami Johnson, des accords pour que les Français de part et d'autre de l'Atlantique travaillent ensemble à une même oeuvre française. Et d'ailleurs le concours que la France va, tous les jours un peu plus, prêter ici, elle sait bien que vous le lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires qui feront l'étonnement de tous, et qui, un jour – j'en suis sûr – vous permettront d'aider la France…
Voilà ce que je suis venu vous dire ce soir, en ajoutant que j'emporte de cette réunion inouie de Montréal un souvenir inoubliable. La France entière, sait, voit, entend ce qui s'est passé ici. Et je puis vous dire qu'elle en vaudra mieux.
Vive Montréal! Vive le Québec… Vive le Québec… Libre!
Vive… Vive… Vive le Canada français et vive la France!!! – What did he say? Un journaliste dépêché d'un journal d'Ottawa, à Paul Gros d'Aillon– On va avoir des problêêêmes…Daniel Johnson, à Claude Morin– Quand il est écrit qu'un accident doit arriver…Jean Drapeau, quelque six mois plus tard…Le lendemain matin, un journal chinois(*) de Hong-Kong a fabriqué un idéogramme nouveau: « 魁 »; « Québec ».(Anne et Pierre Rouanet, in
Les trois derniers chagrins du général de Gaulle,
[Grasset ed.]), p. 131.
(*) Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, Hong-Kong était encore une colonie britannique…– Ce qui vient de se produire, c'est un phénomène historique qui était peut-être prévisible mais qui a pris des formes que seul l'événement pouvait préciser. Bien entendu, j'aurais pu, comme beaucoup d'autres, m'en tirer par quelques courtoisies ou acrobaties diplomatiques, mais quand on est le général de Gaulle, on ne recourt pas à des expédients de ce genre. Ce que j'ai fait, je devais le faire. Charles de Gaulle, s'entretenant dans l'avion, au retour de Montréal, à Bernard Dorin.
Un Colombey flottant
Remontons à quelques jours plus tôt, en Atlantique nord. Ballotté sur un navire de guerre, le croiseur Colbert, le Président de la République Française, Charles de Gaulle, fait le chemin que d’innombrables colons ont fait, jusqu’il y à deux siècles et aux descendants desquels il va rendre visite.
Mais pourquoi donc le chef d’un état aussi important que la France
sacrifie ainsi une semaine de son précieux temps à effectuer une traversée
qui est maintenant faite d’un coup d’aile grâce aux longs-courriers
qui sillonnent le ciel?
C’est que, quelques années plus tôt, le Général avait été invité par le
gouvernement du Québec à visiter l’exposition universelle de Montréal.
D’abord ayant rejeté l’idée du revers de la main, le Général l’a
faite sienne…
Mais le protocole veut qu'un chef d'état arrive par la capitale. Or, au Canada, la capitale c'est Ottawa, choix effectué par la reine Victoria elle-même, bien qu'elle n'avait jamais mis les pieds au Canada (seul, le Prince de Galles avait effectué la grande traversée, quelques années auparavant, pour venir inaugurer le Pont Victoria, alors qualifié de huitième merveille du monde).
Mais arriver par Ottawa, ce serait passer par dessus le Québec qui lui, avait invité le Général.
Restait donc la voie des mers.
On pensait originalement prendre l’avion vers Saint-Pierre et Miquelon,
où le Général aurait alors embarqué pour Québec. Mais comme aucun appareil
pouvant y atterir ne pouvait voler d’une traite de Paris, cela
contraignait le Président à être accueuilli à l’escale obligatoire de
Gander, à Terre-Neuve…
Cela ne pouvait aller. C’est donc pour ça que le Général s’est
embarqué dans son «Colombey flottant» et a affronté, cinq jours durant,
l’Atlantique nord. Le vaisseau, fort balloté, arriva à Saint-Pierre et
Miquelon un peu froissé par sa traversée au cours de laquelle Tante Yvonne a
fort étonné l’équipage par son pied marin…
Saint-Pierre et Miquelon, où, quelque 25 ans plus tôt, il avait, contre
l’avis des Anglo-Saxons, effectué sa première opération de rapatriement
au sein de la France Libre. Le vieux Général foulait enfin le sol d’une
de ses premières victoires…
Reparti, et remontant le Golfe du Saint-Laurent, le Colbert et son illustre
passager est rencontré par un vaisseau de la Royal Canadian Navy,
lequel dépêche à bord un officier à titre de pilote. On admirera le doigté
et le tact que les autorités canadiennes ont démontré en choisissant pour
remplir cet office un officier ne connaissant pas un traître mot de
français…
Malgré cela, le Général se fit un malin plaisir à le convier à sa table
durant tout le reste du voyage…
Bien moins cher que le «Samedi de la matraque»!!!
– On va m'entendre là-bas, ça va faire des vagues. Je compte frapper un grand coup. ça bardera. Mais il le faut. C'est la dernière occasion de réparer la lâcheté de la France.Le général à son gendre, le commandant Philippe de Gaulle, en embarquant à Brest.(Anne et Pierre Rouanet, in
Les trois derniers chagrins du général de Gaulle,
[Grasset ed.]), p. 82
The Gazette:
Canadian emblem missing from French Vessel
Le Colbert docked docked at L'anse au Foulon (Wolfe's Cove), bringing gen. de Gaulle to Canada, flying the tricolor and the flag of Lorraine, Gen. de Gaulle's personal banner. The Canadian flag was conspicuous by it's absence. When a ship enters the territorial water of a foreign nation, it flies the flag of that nation as a courtesy.
(Ici, une quelconque feuille anglaise se plaint amèrement que le Colbert n'arborait pas le drapeau canadien, à son arrivée à Québec…)
Pour le moment, les vagues, elles se brisent sur les flancs du Colbert, qui a entamé la remontée de l’Estuaire du Saint-Laurent parmi les troupeaux de baleines qui s’empiffrent de crevettes…
Sur une rive, un feu de joie allumé, mais qui ne sera pas aperçu: le Fleuve est si ample à cet endroit, qu’on n’en distingue pas les rives. Mais c’est mnéanmoins le Fleuve…
Dimanche matin, on est à quai, devant Québec, à l’Anse-aux-Foulons.
Quai fédéral. Pour une fois, les hégémonistes Anglo-Saxons ont leur petit triomphe: impossible de mettre le pied au Québec sans d’abord fouler le sol du Canada, ici, le quai, sous juridiction fédérale. Pour bien souligner ce détail, le vice-roi d’Angleterre, le très honorable Roland Michener, Governor General of Canada se charge des honneurs. Malgré tout cela, plus de 5,000 personnes (selon une estimation de la Royal Canadian Mounted Police) sont présentes.
Honneurs commençant par le God Save the Queen, l’hymne national du Canada. Car n’oublions pas que le Canada n’est qu’une vulgaire succursale non de l’Angleterre. D’une tribune voisine, remplie de notoires, quelques hou! hou! s’élèvent… Mais quand retentit La Marseillaise, c’est au tour de celle-ci de s’époumoner en entonnant l’hymne national Français.
– Monsieur le gouverneur général, je me félicite d'avance d'aller prochainement à Ottawa vous saluer, saluer le gouvernement canadien, et je me félicite d'avance d'aller prochainement à Ottawa entretenir le gouvernement canadien au nom de mon pays des rapports qui concernent le nôtre et le vôtre…
En d’autre mots, ce qui se passe ici, ce n’est pas de vos oignons…
Puis, s’addressant au premier ministre Daniel Johnson:
– Monsieur le Premier ministre, c'est avec une immense joie que JE SUIS CHEZ VOUS au Québec.
A ce moment, où le Governor General of Canada allait prononcer son discours, un hélicoptère surgit de nulle-part, et noie de son bruit toute tentative de discours… Des officiels du ministère des transports présent ont tenté, sans succès, de communiquer avec l’appareil, mais ce dernier est demeuré sourd aux injonctions officielles. À bord de l’hélicoptère, un caméraman était fort occupé à filmer la cérémonie pour le compte du Gouvernement du Québec, suivant les instructions relayées du sol par un officiel non-identifié à l’aide d’une radio portative…
Malgré tout ces avatars, mister Michener, en voisin bien élevé, se retire dans sa Citadelle après l’apéro, en cela reconduit chez-lui par le Général qui le laisse à la porte de sa forteresse (au modèle d’ailleurs copié sur Vauban), avant de rallier Daniel Johnson.
Le cortège se faufile, tant bien que mal, jusqu’à l’Hôtel de Ville, érigé sur l’ancien emplacement du collège des Jésuites, que l’occupant anglais avait fait raser sous le prétexte fallacieux d’insalubrité un siècle plus tôt…
A perte de vue, la foule en liesse occupe tous les espaces libres. Quel contraste avec le Samedi de la Matraque, en 1964, où la foule avait été bastonnée par les farces de l’ordre, lors d’une visite d'Elizabeth II, Queen of England by the Grace of God (ce qui prouve bien que quand il faut être contre le peuple, la religion peut vous donner un sacré coup de main, surtout si on est papesse de ladite religion…)
Maintenant, point de bastonnade, mais une aura de fête. Le général, descendu de voiture, gravit les trois marches du perron de l’Hôtel-de-Ville de Québec. La foule occupe toute la place, jusqu’au perron lui-même. Tout juste de la place pour le Général, et son micro.
— Je remercie Québec de tout mon coeur pour son magnifique accueuil, pour son accueuil français. Je vous apporte le salut, la confiance et l'affection de la France. Nous sommes liés de part et d'autre de l'Atlantique par un passé aussi grand que possible et que nous n'oublieront jamais.
ous sommes liés par le présent parce qu'ici nous nous sommes réveillés comme là-bas, nous avons épousé notre siècle. Nous sommes en plein dévellopement, nous acquérons les moyens d'être nous-mêmes.
Nous sommes liés par notre avenir…
Puis, après un regard furtif comme pour guetter un surveillant scolaire,
– Mais on est chez-soi, ici, après tout! Nous sommes liés par notre avenir parce que ce que vous faites en français de ce côté-ci de l'Atlantique et ce que fait en français le vieux pays de l'autre côté, c'est une même oeuvre humaine. Nous en avons des choses à faire ensemble en ce monde difficile et dangereux où ce qui est français a son rôle à jouer comme toujours…
Toute la France en ce moment regarde ici, elle vous voit, elle vous entend, elle vous aime!
Vive le Canada, vive les Canadiens français, vive Québec, vive la Nouvelle France, vive la France!
Puis, c’est la grand-messe à la basilique de Sainte-Anne de Beaupré. Foisonnement de soutanes et cornettes, en un dernier soubresaut, avant de disparaître à jamais dans la poubelle de l’Histoire, la Grande Noirceur s’étant définitivement éclairée des lumières modernes lors de la Révolution Tranquille, qui battait alors son plein.
Puis, après-midi, en tête à tête avec Daniel Johnson, une conférence. Ensuite, réception à bord du Colbert, gracieuseté du Président de la République Française, juste avant le souper au Château Frontenac.
L’hôtel du Canadian Pacific Railway, bastion Anglo-Saxon par excellence, a eu sa petite revanche: on sert au Général le même menu qu’on a servi à la reine d’Angleterre trois ans plus tôt…
Mais le Governor General of Canada n’est pas pour autant rejeté; seulement, son couvert restera inutilisé, probablement parce qu’il a préféré rester dans sa Citadelle pour bouffer des crumpets à la sauce à la menthe, le tout arrosé d’une piquette de la péninsule du Niagara…
Par contre, le Lieutenant Gouvernor of Québec, The Right Honourable Hugues Lapointe, tout de Rivière-du-Loup fut-il, se fit remettre en place ainsi:
– Je salue Monsieur le Lieutenant-Général et Madame Lapointe qui sont aimablement des nôtres, et je lève mon verre en l'honneur du gouvernement du Québec, en l'honneur du Canada français…
Puis, après la bouffe et les toasts, les discours:
– Il est de notre devoir d'agir ensemble (…) Car à la base, se trouvent trois faits essentiels, que rend aujourd'hui éclatants l'occasion de ma visite. 1) Après qu'eut été arrachée de ce sol, voici deux cents quatre années, la souveraineté inconsolable de la France, 60,000 Français y restèrent. Ils sont maintenant plus de six millions (…), miracle de fécondité, de volonté et de fidélité.
2) Vous, Canadiens français, votre résolution de survivre en tant qu'inébranlable et compacte collectivité, après avoir longtemps revêtu le caractère d'une sorte de résitance passive (…) a pris maintenant une vigueur active en devenant l'ambition de vous saisir de tous les moyens d'affranchissement et de développement que l'époque moderne offre à un peuple fort et entreprenant.
3) Ce que l'on voit apparaître au Québec, ce n'est pas seulement une entité populaire et politique de plus en plus affirmée, mais c'est aussi une réalité économique particulière et qui va grandissant.
– En somme, compte tenu des difficultés inévitables d'un tel changement, moyennant les accords et arrangements que peuvent raisonnablement comporter les circonstances qui vous environnent et sans empêcher aucunement votre coopération avec des éléments voisins, on assiste ici comme en maintes régions du monde à l'avènement d'un peuple qui, dans tous les domaines, veut disposer de lui-même et prendre en main ses destinées.
– Cet avènement, c'est de toute son âme que la France le salue. Que le pays d'où vos pères sont venus fournisse son concours à ce que vous entreprenez, rien n'est plus naturel.
– Ce que le peuple français a commencé de faire au Canada il y a quatre siècles, ce qui y a été maintenu depuis lors par une fraction française grandissante, ce que les Français d'ici une fois devenus maîtres d'eux-mêmes auront à faire, ce sont des mérites, des progrès, des espoirs qui ne peuvent en fin de compte que servir à tous les hommes.
Sur la terrasse Dufferin, en dehors du Château Frontenac, la population québécoise en liesse célèbre gaillardement la venue du président français. Un feu d’artifice somptueux fait demander au chef de l’opposition, le libéral (donc inféodé au pouvoir anglais) Jean Lesage combien cela a t’il pu coûter "au contribuable"…
– Bien moins cher que le Samedi de la Matraque,
qu'on lui répondra…
En remontant le Chemin du Roy
Le lendemain matin, bien reposé, le Général est cueilli du Colbert par le Premier ministre Johnson au quai. Direction Montréal.
Les deux hommes d’état montent dans la limousine décapotable, conduite par un irlandais « sans aucune goutte de sang français dans les veines », mais parlant tout de même le français… La voiture arpentera les 270 kilomètres séparant Québec de Montréal, sur le Chemin-du-Roy.
Bien évidemment, les scribouilleurs et grenouilleurs parisiens se gaussent du nom de cette route, en omettant bien évidemment de noter qu’elle fut tracée par le Grand Voyer de France, et nommée ainsi dans l’espoir, un jour, que le Roy lui-même le parcourâsse.
Le trajet est jalonné de fleurs-de-lys peintes à même le pavé. Mais notre chauffeur irlandais n’a pas à loucher sur la route pour connaître son chemin, car le chemin est bordé de populace, qui est accourue de dizaines de kilomètres à la ronde, pour ovationner le Libérateur de la France.
De village en village, ce n’est que succession d’arcs de triomphes édifiés à la hâte, de bannières et de chorales plus ou moins improvisées, dont la chanson préférée est "Alouette, gentille alouette"…
– Le Gouvernement Fédéral ne voulait pas d’une voiture découverte. Nous avons dit: le Général vient pour saluer le peuple, il le saluera. Aujourd’hui, dix ans après, nous ne pourrions pas. Le climat s’est tendu. Oh! Je pense que pour Giscard, on prendrait encore ce risque: qui songerait à tirer sur Giscard? à vrai dire, pour de Gaulle, il n’y avait aucun risque: il était en famille. André Patry(entrevue accordée en 1977 à Pierre Rouanet)
En effet, en famille il y était. à voir cette foule, son accueuil enthousiaste, on songerait au retour d’un frère longtemps resté à l’écart.
Premier arrêt: Donnacona.
La pluie a commencé peu avant l’arrivée. De Gaulle a du faire une concession au confort décadent amerlok: il doit se baisser, une capote métallique surgissant du coffre arrière dès les premières gouttes de pluie… C’est pas la DS présidentielle qui offrirait ça…
– Et puis maintenant, je vois le présent du Canada français, c’est à dire un pays vivant au possible, au pays qui est en train de prendre en main ses destinées. Vous pouvez être sûrs que le Vieux pays, que la Vieille France apporte et apportera à la Nouvelle-France tout son concours fraternel.
Sainte-Anne-de-la-Pérade
– Vous serez ce que vous voulez être, c’est-à-dire maîtres de vous!
La radio retransmettait en direct les péripéties, alertant la population au devant du Général. Quel contraste avec la précédente visite du au Québec du Général, en 1960, alors que le Général était promené par le Premier Ministre John Diefenbaker, la Canadian
Broadcasting Corporation a eu l’immense tact et le goût exquis de diffuser un film documentaire à la gloire du régime de Vichy…
(Anne et Pierre Rouanet, inLes trois derniers chagrins du général de Gaulle,
[Grasset ed.]), p. 106
Même prestation au prochain arrêt, au Cap-de-la-Madeleine, discours-express,
puis on rembarque jusqu’à Trois-Rivières:
– Vous, les Français canadiens, au fur et à mesure de votre avènement, vous aurez à concourir – et en particulier avec vos élites, vos savants, vos ingénieurs, vos cadres, vos artistes, vos techniciens – au progrès du Vieux pays, au progrès de la France.
Tout un discours à tenir dans une ville coloniale québécoise typique: immenses usines à papier où travaillent une myriade de prolétaires français tenus dans l’ignorance par un clergé scatholique à la botte de l’occupant anglais, et où les cadres anglais se réfugient dans des ghettos dorés, à l’écart de la plèbe…
Et le cortège reprend, pour s’arrêter officellement à Louiseville et à Berthierville, pour continuer jusqu’à Repentigny, où l’urbanisation commence sérieusement.
Puis c’est la traversée du pont de l’île-Bourdon, où le cortège quitte le continent pour pénétrer sur l’île de Montréal, où il en gagnera le centre historique par la rue
Sherbrooke, une des plus longues rues au monde.
Quelques années plus tard, un pont parallèle et qu’empruntera l’autoroute de la Rive-Nord sera baptisé du nom du plus illustre des français.
Quarante kilomètres pour traverser la banlieue est de Montréal, la banlieue la plus pauvre, car française. Quarante kilomètres d’usines, de raffineries de pétrole, d’usines malodorantes qui tournent leurs derniers tours de roues, de banlieues-dortoirs aux maisons toutes bâties dans le même moule, quarante kilomètres de pauvreté soigneusement entretenue.
Mais quarante kilomètres d’une foule joyeuse, en liesse, forte de plus de 500,000 personnes (selon la Presse du 26 juillet 1967), qui déborde de l’enthousiasme d’un peuple qui vient tout juste de découvrir qu’il peut couper ses chaînes et se départir du joug que lui imposait un occupant à l’impérialisme sans égale assisté par une élite indigène intéressée et très subvertie par les brimborions de pouvoir que lui saupoudre l’occupant…
Deux cent soixante dix kilomètres bordés d’une foule commençant à se réveiller sous deux siècles d’une occupation étrangère, deux siècles où leur conscience collective fut d’abord violée, puis étouffée et enfin assujetie à un destin flou et vagabond, car ne visant qu’à l’enrichissement d’une poignée de marchands et industriels tirant chacun de son côté, plutôt que franchement dirigé vers l’établissement d’une société juste et équitable.
La suite, tout le monde la connaît à présent. Discours à l’Université de Montréal sous le regard désapprobateur du Cardinal Léger (ça va de soi: il s’était vautré allègrement dans les privilèges que lui confèrent la constitution de 1867, et regardait donc d’un oeil torve un personnage qui s’est toujours efforcé d’anéantir ce genre de privilège de situation), visite de l’Expo (le but officiel du voyage) et du Métro ("ça fait bien depuis 1936 que je n’ai pas pris le Métro").
Et retour précipité, dès que les réprobations canadiennes officielles furent entendues.
L’orage allait bientôt se lever. Le Canada allait découvrir brutalement qu’il ne pouvait pas être, qu’il n’était pas, et qu’il ne serait jamais une succursalle de l’Angleterre, avec cet énorme bloc français en son sein. Les choses ne seraient plus les mêmes. Et, 50 ans plus tard, toujours autant dans l’impasse.
« Ce qui grenouille, et ce qui scribouille… »
Maintenant, allons faire un tour du côté de chez les hystériques, et notamment au rayon désinformation…
Toronto Telegram :
« Un nouveau rideau de fer, atlantique cette-fois », sur cinq colonnes…
Puis, un peu plus loin…
…"Les rêves de gloire pour la France du président De Gaulle ne s’étendent sûrement pas jusqu’à offrir un statut colonial au sein de l’empire français rétréci"…
(Jamais le Général n’a proposé de faire du Québec une colonie française…)
(lettre d’un lecteur de cette illustrissime feuille) :
« Si ce général un peu détraqué continue à babiller au cour des jours qui suivent, il y aura peut-être une effusion de sang. Quelqu’un à Ottawa doit avoir le droit de l’expulser. Je sais qu’il y a une loi prévenant l’admission d’indésirables au Canada. Ne peut-on pas l’appliquer?»
The Gazette (Montréal) :
« Le président Charles de Gaulle, en ce qu’il a dit et fait sur le sol canadien, pourrait bien avoir commis l’une des plus sérieuses gaffes politiques de sa longue carrière ».
Toronto Star :
"Nous devons assumer qu’il a délibérément insulté et choqué le Canada… Si le peuple du Québec veulent leur libération du reste du Canada, comme De Gaulle semble arrogamment assumer, ils peuvent avoir cela aussi"…
(C’est exactement ce pourquoi la majorité des Québécois Français ont voté pour, 28 ans plus tard…)
Victoria Colonist :
(Tiens, ici on a un son de cloche notablement différent (quoique tout autant déconnecté de la réalité) :
Malgré les quelques énoncés et événements dérangeants qui ont émané du Québec depuis dimanche, une évaluation est surtout affaire d’interprétation. Le Général de Gaulle, en évoquant la résistance aux influences étrangères au Québec, bien que pouvant être dirigé ailleurs que sur les forces politiques en France et au Canada lui-même, était probablement dirigée envers les états-Unis.
Woodstock Sentinel-Review :
Ses actions sont ineptes, anti-diplomatiques et carrément dangereuses.
Ottawa Citizen :
«J’ai honte de mes origines françaises», titre placé au dessus de quelques lettres reçues de lecteurs.
The Hamilton Spectator :
«Le fait canadien résiste à toutes les attaques et contient tout. Le président de Gaulle, lui, n’est qu’un phénomène passager».
The Fredericton Gleaner:
«De Gaulle vient de montrer qu’il mérite sa réputation de fauteur de trouble… Il a délibérément mis le feu aux poudres et fortifié le mouvement independantiste».
The Calgary Herald :
…« Il a ouvertement encouragé la subversion par les pires éléments au Québec. Il a activement encouragé un comportement destiné à endommager, sinon détruire, l’existence même du Canada en tant que nation unique».
Ici, l’on voit bien la volonté d’intégrer, d’assimiler de force les Québécois à la seule nation anglaise qui domine le Canada.
The Windsor Star :
«En faisait écho au slogan séparatiste «Vive le Québec Libre», il signifiait que le peuple du Québec n’est pas libre bien qu’il soit plus libre que le peuple de France sous sa dictature».
On remarquera que ce journal ignore que De Gaulle a plus fait pour la démocratie française (restauration de la démocratie après la guerre, vote des femmes, élection du chef de l’état au suffrage universel) que n’importe-quel de ses prédécésseurs…
The Globe and Mail (Toronto) :
«Québec réserve à de Gaulle un accueuil tranquille, réservé.
… quelques éclats d’enthousiasme bien dirigés ont accueuilli le général de Gaulle au cours de cette première journée de son voyage canadien, mais durant la plus grande partie de la tournée, l’accueuil fut beaucoup plus réservé."
(On voit bien ici l’hypocrisie et la désinformation patente qui permée les médias en ce qui concerne les questions québécoises…)
The Mail Star (Halifax):
« De la diplomatie au méfait ».
Sarnia Observer :
« Son impopularité va maintenant probablement faire boule de neige au reste du Canada alors que le vieux rêve de deux cultures vivant en harmonie diminuera parce qu’un vieil homme n’a pas choisi ses mots alors qu’il était un invité du Canada »…
Un autre qui ne tient pas compte qu’il a été invité par le Québec, et non pas par le Canada. Quant au rêve de deux cultures qui vivent harmonieusement, il ne peut que se réaliser dans un cerveau dérangé, car on sait très bien que quand français et anglais sont mis ensemble, c’est l’anglais qui écrase l’autre…
Prince Rupert News :
« Le président français a commis un outrage à ceux qui s’évertuent pour l’unité canadienne ».
Signé: La Palisse.
Niagara Falls :
« Charles de Gaulle s’est trouvé un nouveau jouet: le séparatisme québécois ».
The Vancouver Sun :
« De Gaulle lance un cri de bataille ».
Dépêche de la Canadian Press :
… « foule de plus de 3000 personnes, une foule infiltrée de séparatistes. » … « Il n’y avait pas plus de 1000 personnes pour accueuillir le Général à son arrivée, à l’Anse-au-Foulon »…
(On se souviendra que les chiffres étaient considérablements plus élevés que ça)
The Vancouver Province :
…« de Gaulle s’est tout de même permis allègrement de donner des conseils incendiaires à toutes les têtes chauves irraisonnables du Québec ».
Est-ce que ce journal fait allusion à Jean Drapeau???
The Montreal Star :
Polly prattles words of love for de Gaulle Falmouth, England, July 25 – Polly Perkins, aged 6, refused to say anything to coast guard rescuers except "Nuts" and "Vive de Gaulle".
Coast guards who found Polly lying exhausted on rocks near here informed police.
Polly, – an African grey parrot which speaks four languages – was soon returned to her owner in Falmouth.
Gageons que les typographes, en composant cela, ont du avoir le mot "foul mouth" à l’esprit…
(En angleterre, les gardes-côtes ont secouru un perroquet d’un récif. Le perroquet n’a rien dit d’autre aux secouristes que "des noix’" et "Vive de Gaulle").
N’oublions pas nos politiciens favoris, plus ou moins oubliés…
Pierre Bourgault
[aux Anglo-Saxons du monde entier] "Ayez la décence de vous taire, au lieu de vous indigner des prétendues ingérences du général de Gaulle dans la politique intérieure du Canada. […]
"Je ne peux que déplorer l’hypocrisie extrême du monde anglo-saxon qui s’insurge aujourd’hui contre ce qu’il a toujours pratiqué avec ferveur, c’est à dire l’ingérence brutale dans nos affaires.
"Premièrement, les britanniques: qu’ils aient la décence de se taire, eux, qui se sont efforcés depuis deux cents ans de nous imposer leurs institutions, leurs politiques, leurs traditions, leurs guerres, leur racisme, leur langue au mépris le plus flagrant de nos libertés naturelles.
"Deuxièmement, les américains: qu’ils aient la décence de se taire, eux qui plusieurs années s’introduisent dans les affaires intérieures de tout le monde, à Cuba, à Saint-Domingue, au Vietnam, au Canada et au Québec où ils contrôlent presque entièrement notre politique et notre économie.
"Troisièmement les canadiens anglais, qu’ils aient la décence de se taire eux, qui, surtout depuis cent ans, souvent au mépris même de la constitution qu’ils se sont donnée, violent impunément les droits des Québécois dans presque tous les domaines, se mêlent de nous imposer des façons de penser ou de vivre et écrasent de la façon la plus subtile et la plus honteuse qui soit deux millions de canadiens français minoritaires dans les provinces anglaises du Canada".
Lester B. Pearson (premier ministre du Canada et accessoirement, chef du Parti Libéral)
…« inacceptable pour le peuple canadien et leur gouvernement ».
On notera que Lester B. Pearson ne parlait pratiquement pas le français
John Diefenbaker (chef de l'opposition officielle, à Ottawa et accessoirement, du Parti Conservateur)
« Le gouvernement devrait émettre un blâme sévère et insister qu’il s’abstienne de prendre la parole en public pour le reste de son séjour au Canada ».
Ici on voit un anglais de la plus pure espèce prôner ni plus ni moins la censure.
Réal Caouette (chef du parti Crétiniste du Canada)
« Nous ne sommes pas en France, nous sommes au Canada. Je ne veux pas de culture française, je veux de la culture canadienne»…
T.C. Douglas (chef du CCF, l'actuel NPD)
…« Du calme… Ce sont les mots d’un vieil homme à la fin d’une grosse journée ».
Allons, allons, pour eux aussi, il faut que la France soit la France!
Évidemment, avec toute ces railleries, quand on a d’abord combattu l’occupant nazi, puis ensuite, anéanti les visées hégémoniques anglo-saxonnes sur la France (on se souviendra que Roosevelt avait juré d’anéantir la capacité industrielle de la France et projetait de l’occuper comme il a occupé l'Allemagne, mais qu'il a vait volte-face lorsqu'il a compris que De Gaulle retournerait la Résistance contre les américains), on se sent un peu come une baleine qui reçoit un pet de plancton…
Quelques mois plus tard, vers la fin de l’année, le plus illustre
des français enfonça un peu plus le clou, lors de sa traditionnelle
conférence de presse, à l’élysée:
Transcription
… Nous allons parler du Québec. Qui m’avait posé la question ? Je vous en prie.
— Monsieur le Président, en juillet dernier, du haut du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, vous avez lancé quatre mots qui ont fait le tour du monde et soulevé un flot de réactions passionnées et contradictoires notamment en France et dans tout le Canada. Quatre mois après cet événement, auriez-vous quelques réflexions à ajouter à celles que vous avez faites à votre retour du Québec ? D’autre part et surtout, pourriez-vous préciser quels sont à votre avis les grands objectifs de la coopération franco-québécoise qui depuis quelque temps connaît un développement accéléré ?
— Il y avait une autre question sur le sujet ?
Ce sont les français qui, il y a plus deux siècles et demi jusqu’en 1763, avaient découvert, peuplé, administré le Canada. Quand il y a 204 ans le gouvernement royal qui avait essuyé le grave revers sur le continent et qui de ce fait ne pouvait soutenir en Amérique la guerre contre l’Angleterre crut devoir quitter la place, 60 000 français étaient installés dans le bassin du Saint Laurent et par la suite leur communauté n’a reçu que des éléments infimes, nouveaux, venant de la communauté française de métropole.
Et cela alors que, une immigration, de millions et de millions de britanniques, relayée récemment par celle des nouveaux arrivants, yougoslaves, méditerranéens, scandinaves, juifs, asiatiques, que le gouvernement canadien d’Ottawa a déterminé à s’angliciser, s’implanter sur tous les territoires. D’autre part les britanniques, qui disposaient au Canada, depuis cette époque, du pouvoir, de l’administration, de l’armée, de l’argent, de l’industrie, du commerce, du haut enseignement, avaient longuement et naturellement déployé de grands efforts, de contraintes ou de séductions pour amener les canadiens, les français canadiens à renoncer à eux-mêmes.
Et puis là-dessus, s’était déclenchée l’énorme expansion des Etats-Unis qui menaçait d’engloutir l’économie, le caractère, le langage du pays dans le moule américain, et quant à la France, absorbée qu’elle était par de multiples guerres continentales, et aussi par de nombreuses crises politiques, elle se désintéressait de ses enfants abandonnés, et n’entretenait avec eux que des rapports insignifiants.
Tout semblait donc concourir à ce qu’ils soient, à la longue, submergés. Eh bien, par ce qu’il faut bien appeler un miracle de vitalité, d’énergie, de fidélité, le fait est qu’une nation française, morceau de notre peuple, se manifeste aujourd’hui au Canada et prétend être reconnue et traitée comme telle. Les 60 000 français qui étaient restés là bas jadis sont devenus plus de 6 millions et ils demeurent français autant que jamais. Au Québec même, ils sont 4 millions et demi, c’est-à-dire une immense majorité de cette vaste province.
Pendant des générations, ces paysans d’origine, des petites gens qui cultivaient les terres, se sont magnifiquement multipliés pour tenir tête au flot montant des envahisseurs et au prix d’efforts inouïs autour de leurs pauvres prêtres avec pour devise : " je me souviens ". Ils se sont acharnés et ils ont réussi à garder leur langue, leur tradition, leur religion, leur solidarité française.
Mais maintenant ils ne se contentent plus de cette défensive passive et comme toute sorte d’autres peuples du monde, ils prétendent devenir maîtres de leur destin. Et d’autant plus ardemment maintenant qu’ils se sentent subordonnés non plus seulement politiquement mais aussi économiquement. Et en effet étant donné la situation rurale, isolée, inférieure dans laquelle était reléguée la communauté française, l’industrialisation s’est faite pour ainsi dire par-dessus elle, l’industrialisation qui, là comme partout, domine la vie moderne.
On voyait donc, même au Québec, les anglo-saxons fournir les capitaux, les patrons, les directeurs, les ingénieurs, former à leur façon et pour le service de leur entreprise, une grande partie de la population active, bref disposer des ressources du pays. Et cette prépondérance conjuguée avec l’action qualifiée de fédérale mais évidemment partiale du gouvernement canadien d’Ottawa mettait dans une situation de plus en plus inférieure les français, et exposait à des dangers croissants leur langue, leur substance, leur caractère, c’est à quoi ils ne se résignaient pas du tout.
Ils se résignaient d’autant moins que tardivement mais vigoureusement, ils se mettaient en mesure de conduire eux-mêmes leur développement par exemple, la jeunesse qui sort de leur université moderne et de leur nouvelle école technique se sent parfaitement capable de mettre en œuvre les ressources, les grandes ressources, de son propre pays et même sans cesser d’être française de participer à la découverte et à l’exploitation de tout ce que contient le reste du Canada. Tout cela fait que le mouvement qui a saisi, le mouvement l’affranchissement qui a saisi le peuple français d’outre atlantique est tout à fait compréhensible et qu’aussi rien n’est plus naturel que l’impulsion qui le porte à se tourner vers la France.
Au cours de ces dernières années, il s’est formé au Québec un puissant courant politique, varié sans doute dans ses expressions mais unanime sur la volonté des français de prendre en mains leurs affaires. Le fait est là, et bien entendu ils considèrent la mère patrie, non plus seulement comme un souvenir très cher, mais comme la nation dont le centre, le cœur, l’esprit sont les mêmes que les leur et dont la puissance nouvelle est particulièrement apte à concourir à leur progrès. Alors que inversement leur réussite pourrait procurer à la France pour ce qui est de son progrès, de son rayonnement, de son influence un appui considérable.
C’est ainsi que le fait que la langue française perdra ou gagnera, la bataille au Canada, pèsera lourd sur la lutte qui est menée pour elle d’un bout à l’autre du monde. C’est donc avec une grande joie et un grand intérêt que le gouvernement de la République a accueilli à Paris le gouvernement du Québec dans la personne de ses chefs successifs Monsieur Lesage et Monsieur Daniel Johnson et a conclu avec eux des premiers accords d’action commune.
Mais il était évident que ces retrouvailles de la France et du Canada français devaient être constatées et célébrées solennellement sur place. C’est pourquoi Monsieur Daniel Johnson me demanda de venir rendre visite au Québec et c’est pourquoi je m’y rendis au mois de juillet dernier.
Rien ne peut donner l’idée de ce que fut la vague immense de foi et d’espérance française qui souleva le peuple tout entier au Québec au passage du Président de la République. De Québec jusqu’à Montréal sur les 250 kilomètres de la route longeant le Saint Laurent et que les français canadiens appellent " le chemin du Roi " parce que jadis pendant des générations leurs pères avaient espéré qu’un jour un chef de l’Etat français viendrait à la parcourir.
Des millions, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants, s’étaient rassemblés pour crier passionnément Vive la France et ces millions arboraient des centaines et des centaines de milliers de drapeaux tricolores et de drapeaux du Québec à l’exclusion presque totale de tout autre emblème. Partout où je faisais halte, ayant à mes côtés le Premier Ministre du Québec, et tel ou tel de ses collègues et accueillis par les élus locaux, c’est avec un enthousiasme unanime que la foule accueillait les paroles que je lui ai adressées pour exprimer trois évidences. D’abord vous êtes des français, ensuite en cette qualité, il vous faut être maître de vous-mêmes, et enfin l’essort moderne du Québec vous voulez qu’ils soit le vôtre après quoi tout le monde chantait la Marseillaise avec une ardeur indescriptible.
A Montréal, la deuxième ville française du monde et qui était le terme de mon parcours, le déferlement de la passion libératrice était tel que la France avait le devoir sacré d’y répondre sans ambage et solennellement. C’est ce que je fis en…, en disant, en déclarant à la multitude assemblée autour de l’hôtel de ville que la France n’oublie pas ses enfants du Canada, qu’elle les aime, qu’elle entend les soutenir dans leurs efforts d’affranchissement et de progrès et qu’en retour elle attend d’eux qu’ils l’aident dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Et puis j’ai résumé le tout en criant : «Vive le Québec libre!».
Ce qui porta au degré suprême la flamme des résolutions. Que le Québec soit libre, c’est en effet ce dont il s’agit. Au point où en sont les choses dans la situation irréversible qui a été démontrée, accélérée par l’esprit public lors de mon passage, il est évident que le mouvement national des français canadiens et aussi l’équilibre et la paix du Canada tout entier, et encore les relations de notre pays avec les autres communautés de ce vaste territoire et même la conscience mondiale qui a été maintenant éclairée, tout cela exige que la question soit résolue.
Il y faut deux conditions : la première, c’est que, la première implique un changement complet quant à la structure canadienne telle qu’elle résulte actuellement de l’acte octroyé il y a cent ans par la Reine d’Angleterre et qui créa la fédération. Cela aboutira à mon avis forcément à l’avènement du Québec, au rang d’un Etat souverain et maître de son existence nationale comme le sont, de par le monde, tant et tant d’autres peuples, tant et tant d’autres Etats qui ne sont pas si valables ni même si peuplés que le Québec.
Bien entendu cet Etat du Québec aura librement et en égal à régler avec le reste du Canada, les modalités de leur coopération pour maîtriser et pour exploiter une nature très difficile que l’immense étendue et aussi pour face à l’envahissement des Etats-Unis. Mais, on ne voit pas comment les choses pourraient aboutir autrement et du reste si tel est leur aboutissement, il va de soi aussi que la France est toute prête, avec un Canada qui prendrait cet aspect, qui prendrait ce caractère, d’entretenir avec son ensemble les meilleures relations possibles.
Et la deuxième condition, pour que… dont dépend la solution de ce grand problème, c’est que la solidarité de la communauté française de part et d’autre de l’Atlantique s’organise. Or à cet égard les choses sont en bonne voie. Et la prochaine arrivée, la prochaine réunion à Paris, nous l’espérons, du gouvernement du Québec et du gouvernement de la République, doit donner une plus forte impulsion encore à cette grande œuvre française essentielle à knotre siècle, à cette œuvre devront d’ailleurs participer en des conditions qui seront à déterminer tous les français du Canada qui ne résident pas au Québec et qui sont un million et demi. Je pense en particulier à ces 250 000 acadiens qui sont implantés au Nouveau Brunswick, et qui ont gardé eux aussi, à la France, à sa langue, à son âme une très émouvante fidélité.
Au fond nous tous français, que nous soyons du Canada ou bien de France, nous pouvons dire comme Paul Valéry l’écrivait, j’en ai pris note, quelques jours avant de mourir : «Il ne faut pas», écrivait Paul Valéry, «que périsse ce qui s’est fait en tant de siècles de recherche, de malheur, et de grandeur et qui court de si grand risque dans une époque où domine la loi du plus grand nombre. Le fait qu’il existe un Canada français, nous est un réconfort, un élément d’espoir inappréciable. Ce Canada français affirme notre présence sur le contient Américain, il démontre ce que peuvent être notre vitalité, notre endurance, notre valeur de travail». «C’est à lui que nous devons transmettre ce que nous avons de plus précieux, notre richesse spirituelle. Malheureusement les autres français n’ont sur le Canada que des idées bien vagues et sommaires». Et Paul Valéry concluait : «ici s’intégrerait trop facilement une critique de notre enseignement». Ah ! Qu’est-ce qu’il aurait dit de notre prêtre s’il avait vécu assez pour lire, tout ce que tant et tant de nos journaux ont publié à l’occasion de la visite que le Général de Gaulle a faite aux français du Canada.
— Allons, allons, pour eux aussi, pour eux surtout, il faut que la France soit la France!